Modes de pensée rationnelle

Selon Piaget, l'individu passe depuis sa naissance jusqu'à un âge postérieur à 12 ans par différents stades de développement intellectuel. Au dernier stade, le stade opérationnel formel qui suit le stade opérationnel concret, l'individu est capable de faire des opérations mentales sur des abstractions.

Aujourd'hui, à ce dernier stade nous pouvons distinguer trois modes de pensée rationnelle: le mode classique statique et dynamique, le mode quantique et le mode complexe.

Le mode de pensée classique est basé sur la logique et est une extension du mode de pensée du stade opérationnel concret. Le cerveau est en contact avec le monde réel par l'intermédiaire des capteurs et dans le cerveau se forment des objets mentaux qui sont des représentations du monde. Le cerveau est un organe qui assure l'adaptation et la survie de l'individu et il doit pouvoir détecter des choses, différencier des choses et détecter des changements. Cet ordre de présentation est un ordre logique qui ne correspond pas nécessairement à la réalité; ainsi une chose est généralement détectée parce qu'elle se différencie des autres choses par son aspect ou par son changement par rapport aux autres choses ou par rapport à elle-même.

Pour assurer la survie de l'individu, la localisation d'une chose est importante; le prédateur doit localiser sa proie sinon il ne pourra pas manger. Mais la détection du changement est tout aussi importante; l'antilope localise le lion qui s'approche lentement et la détection de la présence du lion ne la fait pas fuir. Ce n'est que lorsque l'approche du lion change de lente en rapide que l'antilope fuit. La différenciation des choses est utile car elle permet d'accomplir un acte en utilisant le minimum d'énergie, loi que nous retrouvons partout dans la nature; le lion différencie l'animal faible parmi les autres et attaque cet animal faible.

La pensée rationnelle est basée sur le langage des mots ou sur le langage mathématique. Dans le mode classique statique, les mots permettent d'exprimer la détection d'une chose (nom) et la différenciation d'une chose ou l'étatde la chose (attribut). Dans le mode classique dynamique, les mots permettent en plus d'exprimer la détection des changements ou l'évolution de l'état de la chose. Dans le mode quantique, les mots permettent d'exprimer la détection d'un état, d'une situation (nom), la différenciation des états (attribut) et la détection du changement. Dans le mode complexe, les mots permettent d'exprimer la détection de l'état d'un ensemble de choses (nom), la différentiation des états (attribut) et la détection du changement.

Mode classique statique

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mode de pensée rationnelle classique statique

Dans le mode de pensée classique statique une chose est exprimée par un nom et ce nom en plus exprime la possibilité de localisation de la chose. La possibilité de localisation de la chose est une propriété géométrique et elle est considérée comme une propriété première définissant absolument la chose par rapport aux autres choses. Pour définir les autres choses, sans toutefois se référer à certaines choses en particulier, nous utilisons le concept d'espace géométrique. Il faut remarquer qu'il ne nous est pas possible de nous représenter une chose qui n'a pas de propriété géométrique ou qui n'est pas située dans l'espace.

Dans le monde réel il y a des choses et ces choses sont dans un état. L'état de la chose est exprimé par des attributs qui définissent les propriétés secondes de la chose et le signe propositionnel établit une relation entre la propriété première et les propriétés secondes. Pour qu'une proposition, construite à partir de signes et de signes propositionnels, corresponde à un fait possible, il faut que sa construction respecte certaines règles de logique classique.

Mode classique dynamique

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mode de pensée rationnelle classique dynamique

Dans le mode de pensée classique dynamique, ce n'est plus seulement l'état de la chose qui nous intéresse, mais l'évolution de l'état de la chose. La chose peut changer ou ne pas changer, par exemple changer de forme, de couleur. Il existe un type de changement qui peut s'appliquer à n'importe quelle chose, c'est le changement de localisation. Je peux différencier une chose qui bouge des choses qui ne bougent pas, ou des choses qui bougent de façon constante. Cette propriété cinématique qui est exprimée par la vitesse de déplacement de la chose, est considérée comme une propriété première. Comme pour exprimer la localisation nous avons besoin d'une référence qui est l'espace, pour exprimer la vitesse nous avons besoin d'une référence. On pourrait prendre la vitesse de la lumière dans le vide qui est une constante. Historiquement cette référence est la vitesse de déplacement d'un astre ou des aiguilles d'une montre. Malheureusement nous ne pouvons pas exprimer la vitesse des aiguilles de la montre, nous pouvons simplement localiser leurs positions. Nous pouvons dire lorsque l'extrémité de la petite aiguille de la montre était sur la position 3 la voiture était à Bruxelles, et lorsque l'extrémité était sur la position 4 la voiture était à 100 km de distance. Si au lieu d'utiliser une montre j'utilise une pendule, j'obtiens le même résultat, et pourtant la distance entre les positions 3 et 4 de la pendule est plus grande que la distance entre les positions de la montre. Ce qui est caractéristique aux deux objets c'est que le rapport de la distance entre les deux positions du cadran à la vitesse de l'extrémité des aiguilles est identique. Distance (montre) / vitesse (montre) = distance (pendule) / vitesse (pendule). Ce rapport d/v est constant et nous l'appelons temps.

L'avantage de ce concept est qu'il permet de différencier l'évolution d'un état d'une chose. L'évolution d'un état d'une chose est exprimée par des attributs qui définissent les propriétés secondes de la chose et par un signe propositionnel qui établit une relation entre ces propriétés secondes et les propriétés premières que sont la localisation et le temps. La température de l'eau s'est élevée de 10 à 80 C° en 10 minutes.

En fait la référence au temps ne nous permet pas d'exprimer l'évolution de l'état d'une chose. Le langage exprime la simultanéité de l'état de deux choses: à 11h00 la température était de 10 C° et à 11h10 elle était de 80 C°. Dans le mode de pensée classique, nous supposons qu'entre l'instant initial et l'instant final, l'évolution de l'état de la chose se fait de façon continue. Pour exprimer l'évolution de l'état de la chose, je peux exprimer à différents instants les différents états de la chose. Pour exprimer un processus, je peux exprimer une série de faits qui arrivent à différents instants.

La supposition de continuité signifie qu'entre l'instant initial et l'instant final, je peux considérer qu'il y a une infinité de durées infiniment petites pendant lesquelles les changements de l'état seront infiniment petits. Cela signifie aussi que je peux établir des relations entre les changements d'état infiniment petits de différentes choses. Ce mode de pensée particulier ne s'exprime pas par des mots mais par l'utilisation de dérivées et d'intégrales en mathématique. Puisque l'évolution de l'état est supposée continue, la connaissance d'un état à un instant donné est déterminée par la connaissance d'un état proche à un instant antérieur. En généralisant, la connaissance de l'évolution de l'état dans le passé me permet de prévoir exactement l'évolution de l'état dans le futur; les choses ont un comportement déterministe.

Mais il se peut que la connaissance de l'évolution de l'état dans le passé soit basée sur une analyse simplifiée; par exemple dans l'analyse de la rotation de la terre autour du soleil, on a négligé de tenir compte de la présence de la lune. Une analyse plus poussée, représentant mieux la réalité, nous indique que la connaissance de l'évolution de l'état dans le passé ne nous permet pas de prévoir exactement l'évolution de l'état dans le futur, et ceci d'autant moins que le futur est plus éloigné. Les choses ont un comportement chaotique.

Mode quantique

Nous nous intéresserons uniquement à certains aspects de ce mode de pensée, non pour les applications en mécanique quantique, mais pour son utilisation dans un domaine plus général.

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mode de pensée quantique

Dans le mode de pensée quantique les propriétés premières n'existent pas. Il n'y a donc pas de définition d'une chose en soi qui était exprimée par le sujet dans le mode de pensée classique. Dans le langage mathématique il n'y a pas de sujet, mais pour nous exprimer par la parole nous avons besoin d'un sujet. Nous pouvons dire que le sujet exprime une forme d'organisation sans la définir. Seules les propriétés secondes expriment par les attributs les états de la forme d'organisation.

Tout le monde a déjà jeté une pierre dans l'eau et constaté la formation d'une onde. On peut mesurer et exprimer sa position, sa vitesse de propagation, son amplitude, sa fréquence ou son spectre de fréquences, son énergie. Si son énergie est très grande, l'onde peut prendre la forme d'un raz de marée et provoquer des destructions. Les destructions ne sont pas provoquées par l'eau, mais par le front de l'onde, par la forme de l'organisation de l'eau, par l'état de l'eau. La difficulté de ce mode de pensée provient du fait que nous sommes habitués au mode de pensée classique. En exprimant le sujet "raz de marée", automatiquement apparaît dans mon cerveau une image représentant une chose située dans l'espace et dans le temps, de la même façon que si je vous dis "ne pensez pas à une pomme", l'image d'une pomme apparaît.

C'est ce mode de pensée que nous utilisons pour parler du fonctionnement du cerveau. Les neurones sont des choses composées d'autres choses, de noyaux, de synapses, de neurotransmetteurs. Les réseaux de neurones ne sont pas des choses. Ils sont composés de neurones mais aussi de la communication entre neurones par neurotransmetteur. Ils sont des formes d'organisation et nous appelons les états de cette forme d'organisation des objets mentaux.

Les objets mentaux ne sont pas des choses dans le mode de pensée quantique, mais peuvent être considérés comme des choses dans le mode de pensée classique. Le passage d'un mode de pensée à l'autre n'est pas un inconvénient tant que la théorie fournit des explications et des prévisions conformes à l'expérimentation.

A la fin du dix-neuvième siècle, époque à laquelle le mode de pensée quantique n'existait pas, une difficulté s'est présentée pour expliquer l'électricité. Dans le mode de pensée classique la charge électrique est l'état d'un porteur et le courant électrique l'évolution de l'état de ce porteur. Mais ce porteur ne possède aucune propriété première qui le définirait comme un chose en soi, il est simplement une facilité de langage. Si nous considérons un réseau de neurones comme un ensemble de choses sans tenir compte de la communication entre neurones, nous pouvons assimiler ce réseau de neurones au porteur de la charge électrique. Nous pouvons exprimer l'état de ce réseau par le concept d'objet mental et réaliser des opérations mentales sur ces objets mentaux comme nous réalisons des opérations mentales sur les charges et le courant électrique.

Mode complexe

Dans le mode de pensée complexe nous considérons des choses qui sont en relation et la forme d'organisation de ces choses.

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mode de pensée complexe

Dans le mode de pensée classique nous nous intéressons aux choses, à leurs états et à l'évolutions de leurs états, il existe une structure ou une relation entre les états et le temps. Dans le mode de pensée quantique nous nous intéressons à des formes d'organisation, à leurs états et à l'évolution de leurs états, il existe une structure ou une relation entre les états et le temps.

Dans le mode de pensée complexe nous nous intéressons à la forme d'organisation d'un ensemble de choses. Nous connaissons, ou supposons connaître, les relations entre les états des choses et le temps. Nous désirons connaître les relations entre les états de la forme d'organisation et le temps. La forme d'organisation correspond à un ensemble et les choses aux éléments de l'ensemble. L'ensemble n'est pas un élément de l'ensemble et notre cerveau n'est pas capable de réaliser l'opération mentale qui consisterait à établir les relations entre les états de l'ensemble à partir des états des éléments de l'ensemble. La seule opération réalisable est l'expérimentation. ainsi un tas de sable est un ensemble, une forme d'organisation des grains de sable. En laissant couler régulièrement du sable sur le tas, on constate qu'un des états du tas est d'avoir une pente constante, indépendante de la hauteur du tas. On constate aussi un état dynamique intermittent qui apparaît sous forme d'avalanches, dont la localisation, l'intensité et la périodicité son imprédictibles; tout au plus peut on relever qu'il y a peu de grandes avalanches et que le nombre d'avalanches augmente au fur et à mesure qu'elles sont de plus en plus petites. Mais on constate que la relation entre nombre d'avalanches et intensité des avalanches suit une loi statistique bien précise, que l'on retrouve régulièrement dans les phénomènes complexes.

Mais aujourd'hui, en plus de l'expérimentation nous pouvons utiliser la simulation sur ordinateur. Si nous connaissons les états des éléments et que nous pouvons les représenter par des grandeurs, si nous connaissons les relations entre les états des éléments et que nous pouvons les représenter par des algorithmes, nous pouvons obtenir une représentation des états de l'ensemble et de son évolution. L'analyse de cette dernière représentation fait découvrir des propriétés émergentes de l'ensemble et des relations émergentes entre les propriétés de l'ensemble, à partir des propriétés des éléments et des relations entre les propriétés des éléments. Ce mode de pensée est récent car les moyens mis à notre disposition, les ordinateurs, sont récents.

En bref nous disposons de trois modes de pensée rationnelle pour représenter le monde réel.

La pensée quantique nous permet de représenter des états de formes d'organisation du monde atomique par des propriétés secondes.

A un niveau d'organisation supérieur, la pensée classique nous permet de représenter des choses par leurs propriétés premières qui les définissent dans l'espace et dans le temps, et les états de ces choses par leurs propriétés secondes.

A un niveau d'organisation encore supérieur, la pensé complexe nous permet de représenter des états de formes d'organisation d'ensembles par des propriétés secondes, à partir d'éléments, dont les propriétés premières et secondes sont décrites par la pensée classique.

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