En utilisant le jugement rationnel je peux dire: "Françoise est plus grande que Jeanne, Jeanne est plus grande que Louise, donc Françoise est plus grande que Louise". Mon jugement rationnel est logique car ma proposition correspond aux faits réels qui sont les grandeurs mesurées des trois personnes. Si je dis: "Louise est plus belle que Jeanne, Jeanne est plus belle que Françoise, donc Louise est plus belle que Françoise" ma proposition a l'air logique, mais j'utilise un jugement de valeur. La beauté est une valeur qui m'est propre et ne correspond pas à un fait possible dans la réalité extérieure. Comment faire un choix entre ces trois personnes? Si le critère est "la plus grande", je choisis Françoise. Si le critère est "la plus belle", je choisis Louise. Si le critère est "la plus grande et la plus belle", comment choisir?

Je peux transformer le jugement de valeur sur la beauté en jugement rationnel sur la beauté en attribuant une grandeur à la beauté de chaque personne. Il faut remarquer que ce jugement n'est pas logique, il n'y a aucune correspondance entre les choses et l'état des choses du monde réel avec les éléments et la structure du tableau de pensées. Cela est normal puisque l'attribution d'une valeur est un processus propre à l'individu, propre au fonctionnement de son cerveau, processus qui n'a de relation avec le monde réel que par l'intermédiaire des objets mentaux auxquels l'individu attribue une valeur, et dans ce cas nous manipulons des valeurs et non des objets mentaux représentant le monde réel.

Une première combinaison possible est l'addition des grandeurs, ainsi Louise aurait un total de 4, Jeanne de 4 et Françoise de 3. En comparant Louise à Jeanne je fais l'opération arithmétique de division 4/4 = 1 et je conclus que Louise et Jeanne sont à égalité. Mais cette opération n'a pas de sens car elle ne respecte pas une règle élémentaire de l'arithmétique; l'équation suivante n'a pas de sens:

Par contre si je combine les grandeurs en utilisant la multiplication, je peux comparer ces combinaisons par la division. L'équation suivante a un sens:

En utilisant la méthode du produit je peux calculer le tableau suivant et conclure que mon choix se porte sur Jeanne.

Nous remarquerons que la grandeur 0 a une signification importante: si une des grandeurs évaluées est 0, le produit de toutes les grandeurs est 0.

Cette règle correspond à la notion de fiabilité qui dit que la fiabilité d'un ensemble d'éléments en série est égale au produit des fiabilités des éléments. Il est donc important d'attribuer aux valeurs des grandeurs qui soient acceptées par toutes les personnes intéressées, cela peut s'obtenir par la discussion puisque les grandeurs sont des objets mentaux communicables. Les résultats obtenus par la méthode du produit donnent de très grandes différences entre les solutions ce qui permet d'attirer l'attention sur les grandeurs faibles et ainsi d'améliorer l'évaluation en la corrigeant ou de réaliser les difficultés d'amélioration.

Prenons par exemple le cas d'une société qui doit licencier un tiers de son personnel. Comment choisir les individus à licencier? Le contremaître n'aime pas tel individu car il n'est pas respectueux, le chef de chantier trouve qu'un tel est un bon ouvrier, le directeur a constaté qu'un autre est dynamique, une décision doit être prise par ces trois individus et acceptées comme juste par les autres individus. La direction peut définir des critères représentant des valeurs importantes pour la société. Pour chaque critère et pour chaque individu une grandeur comprise entre 0 et 3 sera attribuée par le directeur, le chef de chantier et les contremaîtres. Après avoir calculé les produits, les produits et les grandeurs seront discutées par les cadres ce qui permettra de corriger les évaluations basées sur des jugements de valeur trop personnels. Les nouveaux produits recalculés permettront de définir un profil de chaque individu et de faire le choix du personnel à licencier non plus sur base de jugement de valeur mais sur base de jugement rationnel. Les quatre premiers tableaux indiquent les grandeurs attribuées aux individus A et B après discussion, qui a permis d'éliminer un zéro initial attribué par un pur jugement de valeur.

Le dernier tableau reprend l'ensemble des éléments et donne le profil des deux individus ainsi que le profil de l'individu idéal, celui qui aurait eu la grandeur 3 pour chaque évaluation.

En analysant les grandeurs des profils on se rend immédiatement compte des différences entre les individus et de la difficulté pour un individu d'avoir le profil maximum. A première vue ces différences nous paraissent énormes et ne correspondent pas aux impressions que nous donnent un jugement de valeur entre deux individus. Mais si nous représentons ces profils par un graphique dont l'ordonnée est une échelle logarithmique, les différentes hauteurs correspondent mieux à nos impressions. Nos impressions sont ressenties un peu comme la perception des sons qui suit une loi telle que la différence d'intensité n'est perçue que comme le logarithme de cette différence.

Il apparaît directement que la première année le profil de la société R1 est catastrophique et que le premier choix à faire est d'améliorer l'image de marque et la fabrication. Mais pour atteindre ce but il faut également améliorer l'organisation interne qui aura pour résultat d'améliorer l'ambiance du personnel et la rédaction des offres techniques. Cet objectif a été atteint la deuxième année et le profil de la société R2 est passé à 315, le même que celui du concurrent V mais toujours inférieur à celui du concurrent D. La deuxième année les réparations ont été améliorées et la troisième année le profil de la société R3 est passé à 630. La société idéale pour le client ayant un profil de 4.782 on pourrait continuer les améliorations, mais maintenant d'autres critères sont à considérer également. Améliorer les réparations et le service demanderait un investissement important non rentable et si le concurrent D est meilleur en réparation (3) c'est parce que ses produits sont moins bons (2). Améliorer les catalogues exigerait une augmentation de coût qui ne serait pas compensée par le supplément de bénéfice provenant d'une augmentation des ventes. Il n'est pas possibles d'améliorer les délais, ceux-ci étant imposés par le fournisseur principal et la constitution d'un stock important implique un investissement non rentable. Il reste l'amélioration des prix, c'est à dire leur diminution qui représente une amélioration pour le client. Du fait que la société n'est pas intéressée par le bénéfice mais plutôt par les parts de marché et que la bonne organisation interne permet des diminutions sélectives de prix, les prix ont été améliorés pour certains clients. C'est la dernière amélioration qui a été apportée et au cours de la quatrième année le profil de la société R4 est passé à 945.

Dans la recherche de l'amélioration il est dangereux de rechercher l'excellence. L'excellence signifie l'adaptation parfaite à une situation donnée. Mais si l'adaptation est parfaite elle est souvent non modifiable, et si la situation change la difficulté de modification fait que cette adaptation parfaite devient rapidement une parfaite inadaptation qui peut entraîner la disparition de l'organisme. Ainsi une société qui optimise au maximum la méthode de fabrication d'un produit au point de devenir leader du marché, peut disparaître lorsque les spécifications demandées par le marché changent. Au lieu de rechercher l'excellence il est préférable de rechercher la supériorité de type biologique, c'est à dire celle qui se définit par le fait qu'une espèce est supérieure à une autre si elle possède toutes les aptitudes de l'autre espèce plus une que l'autre n'a pas.