La décision avec avis

Dans la décision en incertitude les éléments de l'information sont mal connus. Nous pouvons améliorer la connaissance des informations dont nous disposons en les manipulant pour les rendre plus intelligibles, mais nous pouvons aussi améliorer l'information en demandant l'avis d'une autre personne. Nous avons vu que la décision suite au jugement rationnel logique s'obtenait par la comparaison des objets mentaux représentant les résultats vrai et faux à l'objet mental désiré, et que le résultat était transformé de possible en vrai ou faux par un jugement de valeur. Si les éléments de l'information sont mal connus, ils ne sont ni vrais ni faux mais probables, et le résultat possible n'est ni vrai ni faux mais probable. Dans ce cas la comparaison se fait entre l'objet mental désiré avec les objets mentaux représentant le résultat probablement vrai et le résultat probablement faux.

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Attribuer une probabilité de 90% à un résultat signifie que dans le passé 10 actions ont donné 9 résultats vrais, et que je crois que dans le futur 10 actions donneront 9 résultats vrais. Je peux dire "j'ai des raisons de croire que le résultat sera vrai à 90%" et je pense en terme de probabilité. Par contre, si je ne dispose d'aucune information sur les résultats d'actions dans le passé, je peux seulement dire "je crois que le résultat sera vrai" et je pense en terme de croyance. La probabilité d'un événement s'exprime aussi par des mots, et afin d'assurer une consistence entre langage et probabilité, Stephen Schneider de l'Université de Stanford propose l'équivalence suivante:

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Dans la décision suite au jugement rationnel logique les comparaisons produisaient deux valeurs définies, une impression agréable et une impression désagréable, dont le choix était facile. Dans la décision en incertitude, ces deux valeurs sont mal définies; "75% faux" produit une impression désagréable et le résultat possible sera jugé non faisable, mais "25% vrai" ne produit pas une impression agréable qui rendrait le résultat possible faisable. Il faudrait que la probabilité du résultat vrai soit plus grande pour déclencher cette impression agréable, ou que la probabilité du résultat faux soit plus grande pour confirmer l'impression désagréable initiale. Comment modifier ces probabilités? En demandant un avis.

Prenons l'exemple du vendeur qui désire bien organiser son travail. Il sait qu'il vend un bon produit et qu'il n'est pas le moins cher sur le marché. Il reçoit de nombreuses demandes de prix, et comme il n'a pas le temps de répondre à toutes les demandes il doit sélectionner les clients auxquels il remet une offre. Les anciens clients sont fidèles et la probabilité d'obtenir une commande suite à une offre est de 100%. La commande, qui est le résultat possible de l'offre, est considérée comme vraie et l'action d'offrir est déclenchée. Parmi les nouveaux clients il y a ceux qui prennent leur décision d'achat uniquement sur base du prix et ceux qui décident sur base du prix et des caractéristiques du produit, de plus en général les clients demandent des offres à quatre fournisseurs. La probabilité d'obtenir une commande est donc au maximum de 1/4, 25%, et peut être de 0% si le client décide uniquement sur base de prix. Le vendeur doit donc faire un choix pour éliminer les clients pour lesquels la probabilité de commande est de 0% afin de ne pas perdre de temps. Cela peut se faire facilement en contactant le client avant la remise de l'offre et en lui posant les questions adéquates. Mais pour les clients restants, la probabilité de commande n'est que de 25%, et le vendeur estime qu'à moins de 50% de chance d'obtenir une commande il n'est pas rentable de faire une offre. Cette probabilité de 50% représente la commande possible qui comparée à la commande désirée produit une impression agréable, qui transformera cette commande possible en commande vraie; le vendeur croit que le client commandera.

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Pour modifier la probabilité d'obtenir une commande le vendeur doit émettre un avis. En posant les questions adéquates au client, le vendeur obtient plus d'informations et par un jugement rationnel logique il peut conclure qu'il obtiendra la commande ou qu'il ne l'obtiendra pas; il émet un avis positif ou négatif. Mais cette conclusion donne un fait possible. Si la conclusion était toujours vraie, l'avis donnerait une probabilité de commande de 100%.

Or le vendeur a constaté dans le passé qu'un avis positif, la conclusion d'obtenir une commande, ne correspondait pas toujours à une commande réelle du client. En analysant ses offres et ses commandes passées il a constaté que dans 80% des cas un avis positif correspondait à une commande du client. Il peut dire que son avis est fiable à 80%, ou que la probabilité que son avis soit vrai est de 80%. Initialement le vendeur sait qu'il a 25% de chance d'obtenir la commande et après discussion avec le client il sait que son avis positif est fiable à 80%. Comment combiner ces deux probabilités pour obtenir la nouvelle probabilité de commande suite à son avis positif?

Le théorème de Bayes nous permet de calculer la nouvelle probabilité; il est représenté par les deux graphiques suivants correspondant à des fiabilités de 80% et des avis positifs et négatifs.

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avis positif - fiabilité 80%

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avis négatif - fiabilité 80%

Pour une probabilité initiale de 25% et un avis positif, la nouvelle probabilité d'obtenir une commande est de 57%. Pour la même probabilité initiale de 25% et un avis négatif, la nouvelle probabilité d'obtenir une commande est de 8%.

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avis négatif                                                                      avis positif

Si l'avis est positif la nouvelle probabilité de 57% est supérieure à la probabilité de 50% de chance que le vendeur s'était fixée, et la comparaison entre l'objet mental correspondant à la commande probable et l'objet mental correspondant à la commande désirée donne une valeur qui produit une impression agréable. La comparaison entre l'objet mental représentant la probabilité de ne pas obtenir la commande et l'objet mental représentant la commande désirée donne une valeur qui produit une impression désagréable. Le jugement de valeur transforme la probabilité de la commande en croyance intellectuelle; le vendeur croit qu'il obtiendra la commande et agit en conséquence. Si l'avis est négatif la nouvelle probabilité de 8% est inférieure à la probabilité de 50% que le vendeur s'était fixée et il croit qu'il n'obtiendra pas la commande.

Si la fiabilité est de 95%, c'est à dire que si on a constaté qu'un avis positif est confirmé dans 95 cas sur 100 par une commande, la probabilité après avis est plus grande comme l'indique le graphique.

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avis positif - fiabilité 95%

Dans les graphiques des avis positifs on constate que pour une probabilité initiale de 50%, la probabilité après avis est égale à la fiabilité de 80% ou 95%. Cette probabilité initiale de 50% correspond au hasard pur et il est normal que la combinaison du hasard et de la probabilité d'exactitude de l'avis soit égale à la probabilité d'exactitude de cet avis.

Dans la décision en incertitude nous pouvons améliorer l'information en émettant nous-même un avis après analyse, ou en demandant l'avis d'une autre personne. Cet avis n'a de sens que si la fiabilité de l'avis est connue. Il est évident que si l'estimation initiale est une croyance, c'est à dire qu'elle n'est basée sur aucun historique, la probabilité initiale est 0% ou 100% et il ne sert à rien de demander un avis pour améliorer cette estimation initiale.

Mais nous pouvons aussi améliorer l'information en utilisant le test. Si nous soupçonnons que nous avons une maladie nous pouvons passer un test. Si le test est positif la maladie est confirmée, si le test est négatif il est confirmé qu'il n'y a pas de maladie. Mais un test n'est jamais fiable à 100%, on ne peut donc pas affirmer que si le test est positif il est vrai que la maladie sera confirmée. On peut affirmer que si le test est positif il est probable que la maladie soit présente. Quelle est la probabilité que la maladie sera présente? Supposons que le test soit fiable à 95%, c'est à dire que sur un ensemble de tests réalisés dans le passé on a constaté que si le test était positif, dans 95 cas sur 100 la maladie était présente. La probabilité que la maladie soit présente suite à un test positif est-elle de 95%? Non. Cette probabilité après test est fonction de la probabilité initiale de la présence de la maladie. Si dans une population de 10.000.000 d'individus on a constaté que 100 individus étaient porteurs de la maladie, si je fais partie de cette population, la probabilité initiale pour que je souffre de cette maladie est de 100/10.000.000, ou de 1/100.000, ou de 0,00001, ou de 0,001%. Si le test est positif, avec une fiabilité de 95%, la probabilité après test que je sois porteur de la maladie est de 0,0002 ou de 0,02%. Si le test est négatif la probabilité que je sois porteur de la maladie est de 0,0000005 ou de 0,00005%. Un test négatif indique qu'après le test, la probabilité que je sois porteur de la maladie est 500 fois moindre qu'avant le test. Un test positif indique qu'après le test, la probabilité que je sois porteur de la maladie est 20 fois plus grande qu'avant le test.

Si j'appartiens à une population à haut risque la probabilité initiale que je sois porteur de la maladie est plus grande, par exemple de 1.000 sur 10.000.000, ou de 0,01%. En passant le même test de fiabilité de 95% les probabilités après test positif et négatif d'être porteur de la maladie sont différentes. Les tableaux suivants indiquent les probabilités d'être porteur de la maladie dans différents cas.

L'analyse de ces tableaux nous indique que pour une fiabilité de test (ou d'avis) donnée, le test (l'avis) améliore fortement les prévisions d'occurrence d'événements fréquents et les prévisions de non occurrence d'événements non fréquents. Cela semble évident.

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probabilité après test - fiabilité 95%

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probabilité après test - fiabilité 80%

Il faut remarquer que le test (l'avis) n'est pas un jugement de vérité. Il modifie un objet mental en croyance, de possible il devient presque vrai, et finalement vrai. Mais seul le jugement de vérité après l'action dira si cet objet mental correspondait à un fait vrai, réel.

Mais l'analyse indique aussi que pour une probabilité initiale faible, correspondant à des événements non fréquents, la prévision de l'occurrence d'un événement n'a de sens que si la fiabilité du test a une grandeur très élevée. Ainsi pour une probabilité initiale de 0,01% ou de 1/10.000, un test positif de fiabilité 80% donne une probabilité après test de 0,04%. Si la fiabilité du test est augmentée à 95%, la probabilité après test que l'événement soit vrai n'est toujours que de 0,2%, grandeur trop faible pour croire que cet événement sera vrai. On peut calculer la probabilité après test positif pour différentes probabilités initiales et pour différentes fiabilités des tests, les résultats sont présentés dans le tableau suivant. On constate que dans le cas d'événements peu fréquents, dont la probabilité initiale est faible, il faut une très grande fiabilité du test pour que la probabilité après test soit significative; ainsi pour des événements de probabilité initiale de 0,1% la fiabilité devrait être de 99,99% pour que la probabilité finale soit de 91%. Cette haute fiabilité est difficile à obtenir avec des événements peu fréquents, car elle suppose une analyse des événements passés sur une très longue période de temps et une très grande performance du test.

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probabilité après test+

L'utilisation des probabilités ne permet pas de prédire qu'un événement sera vrai, elle permet de croire qu'un événement possible sera raisonnablement vrai et d'agir en conséquence, elle permet de prévoir un événement. L'utilisation des probabilités dans un raisonnement n'a de sens que si ces probabilités sont calculées sur base d'événements répétitifs passés et si l'on peut supposer que les mêmes types d'événements se reproduiront de la même manière dans le futur. Les informations sont exprimées sous forme de lois qui établissent une relation entre les images qui sont les objets mentaux correspondants aux événements.

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